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LA VOIE DE LA JUSTICE
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le caractère irrévocable des garanties autonomes OHADA

le caractère irrévocable des garanties autonomes OHADA

Les garanties autonomes sont régies par les articles 39 à 49 de l’acte uniforme révisé portant organisation des sûretés (AUS révisé), adopté le 15 décembre 2010 à Lomé au Togo[1].

 

La révision des anciennes dispositions relatives à la « lettre de garantie » avait pour but de mettre lesdites dispositions au niveau des standards internationaux, étant entendu que l’expression « lettre de garantie », ne prenait pas en compte toutes les subtilités d’application de ces garanties.

 

En effet, comme le souligne à cet égard Roger Nevry, l’appellation « garantie autonome à première demande » est plus appropriée pour qualifier les garanties prévues au chapitre 2 AUS révisé, dans la mesure où ces garanties doivent être, non seulement autonomes, mais également à première demande, étant entendu qu’une garantie à première demande n’est pas forcément autonome et vice versa[2].

 

En tout état de cause, l’AUS révisé prévoit une garantie autonome et une contre-garantie autonome. La garantie autonome est définie comme l’engagement par lequel le garant s’oblige, en considération d’une obligation souscrite par le donneur d’ordre, à payer une somme d’argent déterminée au bénéficiaire, soit sur première demande de la part de ce dernier, soit selon des modalités convenues. La contre-garantie autonome quant à elle, est l’engagement par lequel, le contre-garant s’oblige, en considération d’une obligation souscrite par le donneur d’ordre, et sur instructions de ce donneur d’ordre, à payer une somme déterminée au garant, soit à première demande, soit selon des modalités convenues[3].

 

Il ressort de ces définitions, que, d’une manière générale, les garanties autonomes mettent en scène une relation tripartite, composée d’une part, du garant, du donneur d’ordre et du bénéficiaire (garantie autonome), et, d’autre part, du contre-garant, du garant et du donneur d’ordre (contre-garantie autonome).

 

Dans tous les cas, il s’agit d’opérations permettant à  une ou plusieurs personnes morales[4] de garantir le paiement d’une dette souscrite par le donneur d’ordre et dont le bénéficiaire est le créancier de l’obligation principale.

 

A titre de droit comparé, il convient de relever que si les garanties autonomes OHADA et les garanties autonomes françaises se caractérisent par leur autonomie en ce sens qu’elles sont distinctes de l’obligation principale entre le donneur d’ordre et le bénéficiaire[5], elles se distinguent sur le fait que, contrairement au droit français qui institue une garantie à première demande pure et simple, l’AUS révisé a, quant à lui, mis en place une garantie qui, dans les faits, est documentaire, puisque la demande de paiement doit être accompagnée de tous les documents prévus dans la garantie, et indiquer le manquement reproché au donneur d’ordre dans l’exécution de l’obligation en considération de laquelle la garantie a été souscrite[6].

 

Quelque soit le contenu donné auxdites garanties autonomes OHADA, il faut souligner qu’elles produisent des effets divers, dont l’un des plus importants est certainement leur irrévocabilité. Ledit principe de l’irrévocabilité est consacré par l’AUS révisé (I), qui prévoit toutefois quelques exceptions (II).

 

  1. I.                    L’affirmation du principe de l’irrévocabilité des garanties autonomes OHADA

 

Il convient de présenter le fondement de l’irrévocabilité desdites garanties autonomes OHADA (A) avant d’en analyser l’étendue et les sanctions en cas d’inobservance (B).

 

  1. A.     Le fondement du principe de l’irrévocabilité des garanties autonomes OHADA

D’une manière générale, l’irrévocabilité se dit de ce qui a un caractère irrévocable, c’est-à-dire de qui ne peut être révoqué, ce sur quoi il est impossible de revenir[7]. En d’autres termes, est dit irrévocable ce qui est définitif, que l’on ne peut modifier ou annuler.

 

Dans les pays de tradition civiliste française, le principe général de l’irrévocabilité des conventions a été posé par l’article 1134 C.civ qui énonce que « les conventions légalement formées tiennent lieu de loi à ceux qui les ont faites. Elles ne peuvent être révoquées que de leur consentement mutuel, ou pour les causes que la loi autorise. Elles doivent être exécutées de bonne foi ».

 

Cet article met en exergue l’interdiction des révocations unilatérales, le principe étant celui de la révocation par consentement mutuel ou de la révocation légale, sur lesquels il sera opportun de revenir.

 

Appliqué aux garanties autonomes OHADA, le principe de l’irrévocabilité a pour fondement l’article 43 alinéa 2 AUS révisé. Aux termes de cet article, « les instructions du donneur d’ordre, la garantie et la contre-garantie autonomes sont irrévocables dans le cas d’une garantie ou d’une contre-garantie autonome à durée déterminée ».

 

De fait, l’AUS révisé détermine, d’une part, les actes qui sont irrévocables, et, d’autre part, les personnes qui effectuent ou établissent lesdits actes. C’est ainsi que les actes qui sont considérés comme irrévocables sont les instructions du donneur d’ordre ainsi que les contrats de garantie et de contre-garantie.

 

La conséquence de cet état de choses, c’est qu’alors que le donneur d’ordre, qui est le débiteur de l’obligation principale, ne peut se rétracter après coup, le garant, qui est généralement un établissement de crédit, ne peut refuser d’effectuer le paiement, soit sur première demande du bénéficiaire, soit selon les modalités convenues.

 

  1. B.     L’étendue et la sanction du principe de l’irrévocabilité des garanties autonomes OHADA

 

Deux précisions doivent être relevées de prime abord à ce niveau. Premièrement, l’AUS révisé assouplit l’obligation du garant, tout en accentuant sa responsabilité, ceci dans le but de préserver l’équilibre entre les parties. En effet, le garant et le contre-garant ne peuvent effectuer le paiement entre les mains du bénéficiaire, qu’après avoir examiné la conformité de la demande de paiement aux termes de la garantie ou de la contre-garantie[8].

 

Ils disposent, à cet égard, de cinq jours ouvrés pour examiner ladite conformité par ailleurs, ils ne peuvent rejeter la demande qu’à la condition de notifier au bénéficiaire, ou, en cas de contre-garantie, au garant, au plus tard à l’expiration de ce délai, l’ensemble des irrégularités qui motivent ce rejet.

 

Ce délai de cinq jours correspond au délai raisonnable dans lequel le garant ou le contre-garant saisis d’une demande en paiement doivent notifier le bénéficiaire de leur décision motivée d’effectuer ou pas le paiement dont l’exécution est demandée. Le garant doit en outre informer le donneur d’ordre de l’existence de la demande de paiement et lui transmettre une copie accompagnée de tous les documents qui doivent lui être annexés[9].

 

Deuxièmement, l’irrévocabilité n’est prévue que pour une garantie ou une contre-garantie autonome à durée déterminée. Les garanties autonomes à durée déterminée sont des conventions dans lesquelles la date ou les faits entraînant l’expiration de la garantie sont déterminés à l’avance. De ce point de vue, les garanties autonomes peuvent être considérées comme des obligations à terme[10].

 

Dès lors, on peut dire que les garanties autonomes à durée déterminée constituent le droit commun en la matière, dans la mesure où l’AUS révisé énonce qu’elles doivent mentionner, à peine de nullité, entre autres, « la date ou le fait entraînant l’expiration de la garantie ».

 

A cet égard, l’irrévocabilité résulte de l’engagement ferme dans le temps de réaliser le paiement par le donneur d’ordre, et de l’attente légitime que cet engagement fermement établi dans le temps a pu susciter chez le bénéficiaire de la garantie. Ce n’est donc qu’exceptionnellement qu’un contractant insatisfait peut décider unilatéralement de la résolution du contrat avant son terme, sans recours préalable au juge.

 

Il faut relever que l’AUS révisé ne contient pas de dispositions relatives à la sanction du non respect du caractère irrévocable des garanties autonomes OHADA. Toutefois, au regard de la nature contractuelle des garanties sus-évoquées, ces sanctions obéissent au régime général de la responsabilité contractuelle.

 

Une lecture dynamique de l’acte uniforme suscité permet de dégager quelques faits susceptibles d’engager la responsabilité du donneur d’ordre et des garants et contre-garants, en cas de violation du caractère irrévocable des garanties autonomes visées plus haut.

 

Il en est ainsi, du fait, pour le garant ou le contre-garant, soit de ne pas notifier, dans le délai raisonnable prescrit, leur réponse à la demande de paiement, soit de rejeter la demande de paiement sans avoir motivé ledit rejet dans le délai raisonnable sus-mentionné de cinq jours.

 

Il en est également, du fait, pour le donneur d’ordre, informé de l’existence d’une demande de paiement, de faire défense à payer au garant ou au contre-garant, alors même que cette défense à payer ne s’appuie pas sur un motif sérieux.

 

Dans tous les cas, sur le fondement de ces manquements, le bénéficiaire, qui est le créancier de l’obligation principale, comme relevé plus haut, peut demander le paiement des dommages-intérêts résultant de l’inexécution de l’obligation, au titre des articles 1146 et suivants C.civ.

 

Il convient à cet égard de relever que, conformément à l’article 1146 sus-évoqué, les dommages-intérêts ne sont dus que lorsque le débiteur est en demeure de remplir son obligation. La mise en demeure, qui doit contenir une interpellation suffisante, constitue de ce fait, une étape précontentieuse obligatoire.

 

Le créancier doit ainsi s’assurer que les voies d’exécution prévues dans l’acte uniforme portant procédures simplifiées de recouvrement des créances et des voies d’exécution (AUPRVE) se sont avérées insuffisantes ou inefficaces[11].

 

Quoi qu’il en soit, si des voies de recours sont ouvertes contre la violation du principe de l’irrévocabilité des garanties autonomes OHADA, des exceptions sont aménagées par l’AUS révisé.

 

  1. II.                  Les exceptions au principe du caractère irrévocable des garanties autonomes OHADA

 

L’irrévocabilité des garanties autonomes OHADA ne constitue pas un principe absolu. En effet, il faut relever, d’une part, que le donneur d’ordre et le garant respectivement, disposent d’une faculté de révocation unilatérale (A), de même que, conformément au droit commun des obligations contractuelles, les parties peuvent toujours révoquer d’un commun accord, lesdites garanties autonomes (B).

 

  1. A.     La révocation unilatérale des garanties autonomes OHADA

 

L’AUS révisé prévoit deux hypothèses de révocation unilatérale des garanties autonomes OHADA. La première hypothèse est celle des garanties à durée indéterminée ; la seconde hypothèse est celle qui survient en cas de demande de paiement manifestement abusive ou frauduleuse.

 

Relativement à la première hypothèse, elle résulte de l’article 43 AUS révisé, qui énonce que : « les garanties ou contre-garanties autonomes à durée indéterminée peuvent être révoquées par le garant ou le contre-garant respectivement ».

 

Pour comprendre le fondement de cette exception, il convient dans un premier temps de rappeler qu’en principe, ces garanties ne peuvent être consenties pour une période indéterminée. L’article 41 AUS révisé énonce à cet égard que les garanties et contre-garanties autonomes OHADA doivent être constatées par un écrit mentionnant, entre autres, et à peine de nullité, la date ou le fait entraînant l’expiration de la garantie.

 

Dès lors, il y a lieu de penser que l’alinéa 3 de l’article 43 AUS révisé constitue pour ainsi dire, une forme de tempérance à l’obligation de souscrire des garanties autonomes à durée déterminée, ce qui aurait pour objet d’assouplir les conditions de validité desdites garanties et de régulariser le défaut de mention de la durée de l’engagement du garant ou du contre-garant.

 

En tout état de cause, cette exception repose sur le principe de l’interdiction des engagements perpétuels. L’on peut ainsi valablement arguer qu’une obligation irrévocable dont le terme est indéterminé fait peser sur la tête du débiteur, comme une sorte d’épée de Damoclès, qui serait, par nature, contraire à l’exigence d’un consentement éclairé du débiteur. L’on ne peut ainsi cautionner qu’une personne s’oblige indéfiniment envers une autre.

 

La seconde hypothèse, quant à elle, est posée par l’article 47 AUS révisé qui dispose ce qui suit : « Le donneur d’ordre ne peut faire défense de payer au garant que si la demande de paiement du bénéficiaire est manifestement abusive ou frauduleuse. Le garant dispose à l’encontre du contre-garant de la même faculté dans les mêmes conditions.

 

Le donneur d’ordre ne peut faire défense de payer au contre-garant que si le garant savait ou aurait dû savoir que la demande de paiement du bénéficiaire avait un caractère manifestement abusif ou frauduleux ».

 

Quelques énonciations peuvent être déduites de cet article. Premièrement, il faut noter que la possibilité de rompre l’engagement du garant est réservée au donneur d’ordre, de même qu’en principe, seul le garant peut faire défense à payer au contre-garant. Dans ce dernier cas toutefois, le donneur d’ordre peut se substituer au garant si ce dernier néglige, pour une raison quelconque, de relever le caractère manifestement abusif ou frauduleux de la demande de paiement.

 

Deuxièmement, le caractère manifestement abusif ou frauduleux est une question de fait qui relève de l’appréciation souveraine des juridictions de fond.

 

Troisièmement, cette prérogative peut trouver son fondement dans l’adage latin « Fraus omnia corrumpit », qui signifie que la fraude corrompt tout ; on ne saurait donc s’en prévaloir. La fraude doit ici être entendue comme l’action révélant chez son auteur, la volonté de nuire à autrui ou de tourner certaines prescriptions légales.

 

Quoi qu’il en soit, si des garanties autonomes OHADA peuvent être révoquées unilatéralement, force est de constater qu’elles peuvent toujours l’être d’un commun accord.

 

  1. B.     La révocation consensuelle des garanties autonomes OHADA

 

Les garanties autonomes OHADA sont soumises, comme toutes les obligations contractuelles aux règles de droit commun des contrats, à savoir que ce qui a été noué par la volonté commune des parties, peut être dénoué par la même volonté commune des parties.

 

L’article 1134 C.civ énonce dans ce sens que les conventions légalement formées ne peuvent être révoquées que du consentement mutuel de ceux qui les ont faites. C’est certainement sous ce prisme qu’il faut comprendre l’article 49 AUS révisé, qui énonce que la garantie et la contre-garantie autonome cesse, soit sur déclaration écrite du bénéficiaire libérant le garant de son obligation au titre de la garantie autonome, soit sur déclaration écrite du  garant libérant le contre-garant de son obligation au titre de la contre-garantie autonome.

 

En effet, si l’on s’accorde sur le fait que naturellement, le débiteur de l’obligation sera d’accord pour que sa dette lui soit remise, cette disposition de l’article 49 AUS révisé doit donc être considérée comme la manifestation de ladite volonté commune des parties.

 

Il faut toutefois relever que l’article 49 sus-mentionné instaure une condition de forme, à savoir que la volonté du bénéficiaire ou du garant doit nécessairement se faire par écrit. Par conséquent, la partie qui se prévaut d’une telle libération, devra en faire la preuve, et doit s’assurer que le bénéficiaire a formellement renoncé à sa créance.



[1] Voir Journal Officiel de l’OHADA n° 22 du 15/02/2011.

[2] Sur ces distinctions, lire Roger NEVRY, « La garantie autonome à première demande : droit OHADA, droit français », in RDAI/IBLJ, n° 3, 2007, p. 313-334, spéc. p. 314.

[3] Sur les définitions, voir l’article 39 AUS révisé

[4] Aux termes de l’article 40 AUS révisé, les garanties autonomes OHADA ne peuvent pas être souscrites par des personnes physiques sous peine de nullité.

[5] L’article 40 alinéa 2 AUS révisé dispose ainsi que ces garanties « créent des engagements autonomes, distincts des conventions,

[6] Article 45 AUS révisé.

[7] Voir Dictionnaire Larousse en ligne, à l’adresse www.larousse.fr/francais/irrevocable/44350.

[8] Article 45 AUS révisé.

[9] Article 46 AUS révisé.

[10] Sur les obligations à terme, voir les articles 1185 à 1187 C.civ.

[11] Voir notamment les articles 1 à 8 AUPRVE.