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LA VOIE DE LA JUSTICE
LA VOIE DE LA JUSTICE
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La répression des atteintes à la fortune publique depuis la loi N° 2011/028 du 14 décembre 2011portant création d'un Tribunal Criminel Spécial au Cameroun

La répression des atteintes à la fortune publique depuis la loi N° 2011/028 du 14 décembre 2011portant création d'un Tribunal Criminel Spécial au Cameroun

Lancée en 2004 à l’initiative du Premier Ministre Inoni Ephraïm, la vaste opération judicaire d’assainissement des comptes publics et de lutte contre la corruption et les détournements de fonds publics a envoyé sous les verrous plusieurs hauts fonctionnaires soupçonnés d’atteinte à la fortune publique.

 

Cette Opération, populairement qualifiée d’ « Opération Epervier » constitue en soi un précédent dans la pratique de la Gouvernance et du Management publics, le Cameroun étant l’un des rares Etats au monde à avoir engagé une action d’une telle envergure.

 

Pour mémoire, il convient de rappeler que dans le cadre de cette Opération, ce n’est pas moins d’une soixante de hauts fonctionnaires (ex-ministres, Directeurs généraux de sociétés publiques et parapubliques, etc…) qui ont été interpellés et incarcérés dans diverses maisons d’arrêt du pays, dont celle de Kondengui, où une aile a été spécialement aménagée pour accueillir ces « prévenus de luxe ».

 

Ces dernières années toutefois, loin de l’euphorie des premiers jours, l’Opération Epervier a été l’objet de nombreuses critiques.

 

C’est ainsi que les lenteurs judiciaires observées, la partialité présumée des juges d’instruction, l’inefficacité des procédures ont poussé certains à élaborer l’hypothèse d’une instrumentalisation du pouvoir judiciaire dans le but inavoué de permettre au « Prince » de se débarrasser à moindre frais d’anciens alliés politiques devenus encombrants.

 

C’est dans ce contexte empreint de défiance vis-à-vis de l’Opération considérée que le Président de la République, Chef d’Etat, a promulgué le 14 décembre 2011, la loi n° 2011/028 du 14 décembre 2011 portant création d’un Tribunal Criminel Spécial (TCS).

 

La création d’un TCS est censée marquer le passage à une vitesse supérieure de l’Opération sus-évoquée. Il faut, pour s’en convaincre, rappeler que la promulgation de cette loi a eu lieu une semaine seulement après son adoption lors d’une session extraordinaire de l’Assemblée Nationale.

 

Pour autant, l’annonce même de la mise en place d’un TCS chargé de la répression des atteintes les plus graves à la fortune publique n’a pas été accueillie d’un œil favorable par toutes les composantes de la société camerounaise. En effet, si de sources proches du pouvoir, cette loi traduit la volonté des autorités publiques d’endiguer, à défaut de l’enrayer totalement, la corruption, les détournements de fonds publics et les infractions connexes, elle est considérée par une large part de l’opinion publique comme une régression de justice et un recul de l’état de droit au Cameroun.

 

Dès lors, l’intérêt de cette analyse est de dégager clairement la problématique et les questionnements que pose la loi 2011/028, dont on peut dire qu’elle est pour le moins, porteuse d’une nouvelle philosophie pénale de même que d’importantes innovations au niveau de la procédure suivie devant les juridictions compétentes en matière de répression des atteintes à la fortune publique.

 

A cet égard, la question que l’on se pose est celle de la détermination du régime juridique mis en place par la loi sus-indiquée et ses effets sur l’ensemble du mécanisme de répression des atteintes à la fortune publique. En d’autres termes, quels sont les changements induits par la mise en place du TCS sur le cadre normatif de la répression des infractions envisagées ?

 

A noter que bien que le TCS n’a pas encore débuté son office, le Tribunal est une réalité concrète. En effet, suite à la réunion du Conseil Supérieur de la Magistrature du 18 avril 2012, le Président de la République a nommé des magistrats au siège et au parquet, ainsi que le Greffier et les chefs de service au Parquet Général dudit Tribunal. De même, en application de cette loi, le Président de la République a pris le décret n° 2012/223 du 15 mai 2012 portant organisation administrative du TCS.

 

Ceci dit, l’analyse de la loi 2011/028 permet de faire un double constat. D’une part, cette loi opère des mutations profondes du régime de répression des atteintes à la fortune publique ; d’autre part, elle suscite des interrogations relatives au respect de l’état de droit dans son élaboration et sa mise en œuvre.

 

I.              La mutation du cadre normatif et institutionnel de la répression des atteintes à la fortune publique

 

Les mutations dont il s’agit peuvent être envisagées à un double niveau. Premièrement, la loi 2011/028 renforce le dispositif institutionnel existant. Deuxièmement, elle réduit considérablement les délais de procédure.

 

 

A.     Le renforcement du dispositif institutionnel

 

Avant la loi 2011/028, la répression des atteintes à la fortune publique relevait, dans son volet judiciaire, de la compétence exclusive des juridictions de droit commun, dont une part importante de cette compétence était réservée aux Tribunaux de Grande Instance (TGI).

 

En effet, les infractions dont il s’agit sont considérées dans leur grande majorité comme « crimes » par le Code pénal camerounais. L’article 21 (1) (a) du Code pénal dispose à cet effet que « sont qualifiées crimes les infractions punies de la mort ou d’une peine privative de liberté dont le maximum est supérieur à dix ans ».

 

L’article 184 intitulé « détournement » (à noter que le projet de révision du Code pénal envisage une réécriture de cet intitulé qui se lirait ainsi : « détournement public »), en son alinéa 1er prévoit que :

 

« (1) Quiconque par quelque moyen que ce soit obtient ou retient frauduleusement quelque bien que ce soit, mobilier ou immobilier, appartenant, destiné ou confié à l'Etat fédéral ou fédéré, à une coopérative, collectivité ou établissement, ou publics ou soumis à la tutelle administrative de l'Etat ou dont l'Etat détient directement ou indirectement la majorité du capital, est puni:

a)    Au cas où la valeur de ces biens excède 500.000 francs, d'un emprisonnement à vie;

b) Au cas où cette valeur est supérieure à 100.000 francs et inférieure ou égale à 500.000 francs, d'un emprisonnement de quinze à vingt ans ;

c) Au cas où cette valeur est égale ou inférieure à 100.000 francs, d'un emprisonnement de cinq à dix ans et d'une amende de 50.000 à 500.000 francs ».

 

Les réductions de peine prévues aux alinéas 2 et suivants du même article ne changent en rien la qualification de crime des actes incriminés (article 21 (2) du Code pénal).

 

Il convient de souligner que l’article 17 de la loi 2006/015 du 29 décembre 2006 portant organisation judiciaire, devenu article 9.b de la loi 2011/027 du 14 décembre 2011 portant modification de ladite loi, énonce que le TGI comprend « […] une ou plusieurs chambres criminelles » ; les Tribunaux de Première instance (TPI)  n’en comprennent pas (article 14 (4) nouveau de la loi 2011/027).

 

Relevant du droit commun de la procédure judiciaire en la matière, il va de soi que les juridictions d’appel et de cassation complètent ce dispositif institutionnel.

 

Au regard des éléments ci-dessus développés, l’on peut dire que la loi 2011/028 est intéressante non seulement parce qu’elle a induit une modification de l’organisation judiciaire du Cameroun, mais également parce que la compétence des juridictions de droit commun est aujourd’hui partagée notamment avec le TCS.

 

Concernant la modification de l’organisation judiciaire, l’article 3 (nouveau) de la loi 2011/027 énonce désormais que ladite organisation judiciaire comprend :

 

1)    la Cour Suprême ;

2)    les Cours d’Appel ;

3)    le Tribunal Criminel Spécial ;

4)    les juridictions inférieures en matière de contentieux administratif ;

5)    les juridictions inférieures des comptes ;

6)    les tribunaux militaires ;

7)    les Tribunaux de Grande Instance ;

8)    les Tribunaux de Première Instance ;

9)    les juridictions de droit traditionnel.

 

En sus de la nomenclature judiciaire du Cameroun, la loi 2011/028 a également modifié l’organisation et le fonctionnement de la Cour Suprême, puisque son article 13 alinéas 1 à 3 prévoit la création d’une Section Spécialisée de la Cour Suprême, sur laquelle il conviendra de revenir.

 

Concernant les modifications portant sur la compétence en matière de répression des atteintes à la fortune publique, le TCS est compétent pour connaître, lorsque le préjudice est d’un montant minimum de 50.000.000 FCFA, des infractions de détournement de fonds publics et des infractions connexes prévue par le Code pénal et les Conventions internationales ratifiées par le Cameroun (article 2 loi 2011/028).

 

A noter que si à l’issue de l’enquête préliminaire il s’avère que le préjudice est inférieur à 50.000.000 FCFA, le Procureur Général près le TCS transmet la procédure au Procureur Général du ressort territorial de la Cour d’Appel compétente (article 7).

 

Il résulte de ces dispositions que toute juridiction saisie des faits relevant de la compétence du TCS doit d’office se déclarer incompétente ; si ladite juridiction ne se dessaisit pas d’office, le Procureur Général près le TCS peut revendiquer que cette procédure soit mise en œuvre en saisissant son homologue près la Cour d’Appel de la juridiction en cause (article 8).

 

Il y a semble-t-il, dans la rédaction de cet article 8 une faiblesse qu’il convient de corriger, car en donnant la faculté au Procureur Général près le TCS de ne pas revendiquer une procédure qui rentre clairement dans le champ de compétence du TCS tel que le prévoit l’article 2, l’article 8 restreint l’efficacité attendue dans le traitement des dossiers, le risque étant que les dérives constatées sous l’ancien empire ne soient pas endiguées.

 

Les mutations institutionnelles ne constituent que la partie immergée de l’iceberg, tant il est vrai que la loi 2011/028 opère également des mutations importantes d’ordre procédural, du fait d’une réduction considérable des délais de procédure.

 

B.   La réduction des délais de procédure

 

De l’avis même des concepteurs de la loi 2011/028, la réduction des délais de procédure est l’une des raisons fondamentales de la création du TCS.

 

En effet, du fait des lenteurs judiciaires qu’il induit, le Code de procédure pénale paraît inadapté pour le traitement du volume contentieux pendant devant les juridictions pénales, ce qui a entraîné des doutes dans l’imagerie populaire sur la réelle détermination du Président de la République à combattre les détournements de fonds publics et la corruption.

 

En tout état de cause, ce souci de réduire les délais de procédure est perceptible à toutes les phases de la procédure prévue par la loi à l’étude.

 

L’enquête préliminaire doit ainsi être clôturée dans un délai de trente (30) jours renouvelable deux fois tout au plus, la durée de la garde à vue restant celle prévue par le Code de procédure pénale (article 7 loi 2011/028).

 

Par ailleurs, dès clôture de l’enquête préliminaire, le dossier est transmis sans délai au Procureur Général près le TCS qui peut, soit classer la procédure sans suite en l’état, soit requérir l’ouverture d’une information judiciaire (articles 5 et 6).

 

A la phase de l’instruction, le Président du TCS est tenu de désigner le juge chargé de l’instruction de l’affaire dès réception du réquisitoire introductif d’instance du Procureur Général. Le juge d’instruction ainsi désigné doit communiquer sans délai au Ministère Public les demandes de mise en liberté provisoire qui doivent être traitées dans les quarante – huit (48) heures (article 9 alinéa 2).

 

L’information judiciaire quant à elle doit être clôturée dans les cent quatre vingt (180) jours qui suivent le réquisitoire introductif d’instance (alinéa 3).

 

L’alinéa 4 du même article et l’article 10 alinéa 4 énoncent que les exceptions de procédure, y compris celles portant sur la compétence (exception d’incompétence) soulevées soit devant le juge d’instruction, soit devant la formation de jugement, sont jointes au fond. Ces dispositions, qui doivent être lues en cohérence visent à éviter les recours dilatoires qui auraient pour effet d’allonger inutilement le délai de jugement des affaires.

 

De fait, il y a lieu de relever qu’au niveau de la phase de jugement, si la première audience ne peut avoir lieu plus de trente (30) jours après l’ordonnance de renvoi (article 10 (1)), la formation de jugement doit rendre sa décision dans un délai maximum de six mois qui peut toutefois être prorogé de trois mois par ordonnance du Président du Tribunal saisi (alinéa 5).

 

Etant donné que le texte ne dit rien sur les évènements pouvant donner lieu à prorogation, il appartient au Président du Tribunal saisi de les apprécier  souverainement.

 

Toutefois, il faut souligner que l’article 10 nouveau (alinéa 2) donne une indication sur l’un de ces évènements. En effet, cet article, qui dispose désormais qu’en cas d’indisponibilité d’un ou de deux membres de la collégialité, la nouvelle formation collégiale poursuit l’instruction de l’affaire, montre si besoin en est que l’indisponibilité de certains membres de la collégialité constitue un évènement susceptible d’allonger les délais de procédure.

 

La sanction des personnels soumis à la loi qui ne se conforment pas au respect de ces délais constitue une garantie supplémentaire du respect des délais de procédure. En effet, l’article 17, que l’on peut considérer comme une disposition historique dans le l’histoire de la justice camerounaise énonce que « le non respect des délais de traitement prévus peut entraîner à l’égard du contrevenant l’ouverture de poursuites judiciaires ».

 

En fait, le contrevenant dont il s’agit ici peut être l’officier de police judiciaire, le greffier chargé d’une diligence ou alors les magistrats du TCS ; ceci pose la question de l’autorité compétente pour infliger de telles sanctions, notamment en ce qui concerne les magistrats du siège.

 

Aux termes de l’article 37 alinéa 3 de la Constitution révisée du 18 janvier 1996, c’est le Président de la République qui est compétent pour déterminer lesdites sanctions. Cet alinéa énonce que le Président de la République est « assisté […] par le Conseil Supérieur de la Magistrature qui lui donne son avis sur les propositions de nomination et sur les sanctions disciplinaires concernant les magistrats du siège ».

 

Cette problématique est d’autant plus importante à relever que l’institution du juge d’instruction dans le Code de procédure pénale, qui, bien que censée apporter plus de neutralité et d’objectivité qu’à l’époque où l’instruction relevait de la compétence du Ministère Public, a fait l’objet de critiques sur l’impartialité de certains juges d’instruction, tant par les défendeurs que par l’opinion publique.

 

Il est ainsi récurrent d’entendre dire que les juges d’instruction ne se sont pas départis des pratiques décriées des personnels en poste dans les différents Parquets.

 

Quoiqu’il en soit, si l’on peut considérer que l’article 17 sus-mentionné constitue une sorte d’épée de Damoclès suspendue au-dessus de la tête des fonctionnaires concernés, ou alors une incitation qui leur est adressée d’accomplir leurs missions avec probité, cette disposition constitue également un baromètre de la volonté « concrète » du Président de la République de combattre les atteintes à la fortune publique.

 

En situant le Président de la République comme un acteur à part entière de la procédure pénale, cet article met en quelque sorte ce dernier au défi de ne pas être le maillon faible de la chaîne répressive. C’est de sa capacité à sanctionner les magistrats « indélicats » qu’il s’agit, car il semble évident que le défaut de mise en œuvre des sanctions peut être interprété comme une marque de faiblesse, ce qui aurait pour effet d’accentuer les défaillances observées du système.

 

Qu’en est-il donc des interrogations relatives au respect de l’état de droit ?

 

II.            La subsistance d’interrogations sur le respect par cette loi de l’état de droit

 

Lors des travaux de la Commission examinant le projet d’amendement de la loi 2011/028, les membres de ladite Commission ont émis deux réserves fondamentales. D’une part ils ont indexé l’article 11 qui supprimerait le second degré de juridiction ; d’autre part ils ont émis des doutes sur la pertinence de l’article 18 relatif à la restitution du corps du délit.

 

A.   La question de la suppression du second degré de juridiction.

 

L’article 11 de la loi 2011/028 dispose en son alinéa 1er que « le Tribunal statue en premier et dernier ressort. Ses décisions peuvent exclusivement faire l’objet d’un pourvoi ».

 

Epousant en cela une idée largement répandue dans l’opinion publique, les députés ont considéré que cette disposition viole les principes généraux du droit et caractérise même un recul de l’état de droit.

 

Il faut en effet relever que dans les systèmes juridiques les plus représentatifs, le double degré de juridiction est généralement considéré comme une exigence fondamentale du standard du procès équitable.

 

Il est ainsi communément admis que le justiciable qui se sent lésé par la décision d’un juge du fond puisse saisir une juridiction du fond supérieure qui se prononcera à nouveau sur les faits en cause. Cette procédure a pour effet de garantir l’impartialité de la justice, la seconde instance ayant pour but de confirmer ou d’infirmer l’appréciation des faits effectuée par la premier juge du fond.

 

Dans cette perspective, la suppression de l’appel et donc du second degré de juridiction constitue une négation du droit fondamental des justiciables de faire entendre à nouveau leur cause par un tribunal impartial et différent de celui qui a rendu la première décision au fond.

 

Le malaise ressenti à la lecture de cet alinéa est renforcé par les alinéas suivants. En effet, si le pourvoi en cassation des décisions du TCS reste ouvert, l’article 11 est perçu par certains comme une entorse au principe de l’égalité des armes, car consacrant un rapport inégal entre le Ministère Public et les autres parties à l’instance. Alors que l’alinéa 2 dudit article énonce que le pourvoi du Ministère Public porte sur les faits et les points de droit, l’alinéa 3 limite le pourvoi des autres parties aux points de droit.

 

Même l’alinéa 4 qui réduit cette « distorsion » en énonçant qu’en cas de cassation, la Cour Suprême évoque et statue, ne dissipe pas totalement ledit malaise. A noter que cette disposition signifie concrètement qu’en cas de cassation, la Cour Suprême peut, si elle l’estime nécessaire, se prononcer tant sur les faits que sur les points de droit. C’est son pouvoir d’évocation qui est ici mis en œuvre.

 

De l’avis des concepteurs de la loi considérée, la suppression de l’appel au TCS n’est qu’apparente. Tout d’abord en effet, la Section Spécialisée de la Cour Suprême prévue à l’article 13 de cette loi constitue en réalité le second degré de juridiction dans le cadre de la procédure suivie devant le TCS.

 

Ensuite, en matière d’instruction, la Chambre de Contrôle de l’Instruction créée au sein de la Section  Spécialisée de la Cour Suprême joue le même rôle que la Chambre de Contrôle de l’Instruction de la Cour d’Appel, à savoir se prononcer sur les demandes relatives aux décisions prises par les juges d’instruction et les personnels du Ministère Public.

 

Il va de soi que l’existence de ces mécanismes de substitution à  l’appel classique ne dissipe pas totalement les inquiétudes liées à la suppression de cet appel classique, non seulement parce que le régime induit de ces mécanismes n’offre pas toutes les garanties du second degré de juridiction, mais également parce qu’elle consacre l’inégalité entre les personnes justiciables des TGI et celles justiciables du TCS.

 

Il convient toutefois de mettre un bémol à cette analyse en ce qui concerne le respect du principe de l’égalité des justiciables devant la loi, qui pourrait être violé dans les rapports entre les justiciables des TGI et ceux du TCS.

 

En effet, le principe de l’égalité des citoyens devant la loi, consacrée dans le Préambule de la Constitution de 1996, qui a valeur de droit positif faut-il le rappeler, n’est en réalité applicable que si les assujettis se trouvent dans la même situation juridique.

 

Or, c’est la loi qui détermine les critères d’évaluation de cette égalité des personnes devant la loi. En l’espèce, la loi 2011/028 distingue clairement les personnes justiciables des TGI et celles justiciables du TCS, le montant du préjudice subi constituant le critère de distinction entre ces deux catégories de justiciables. Dès lors, le principe de l’égalité devant la loi ne peut s’apprécier entre les personnes de ces différentes classifications, mais uniquement entre les membres d’une catégorie de justiciables.

 

B.   La question de la restitution du corps du délit et l’arrêt des poursuites

 

La possibilité reconnue au Procureur Général près le TCS d’arrêter, sur autorisation écrite du Ministre chargé de la justice, les poursuites engagées à tout moment de la procédure avant qu’une décision au fond ne soit intervenue, en cas de restitution du corps du délit a également engendré des critiques relatives d’une part à l’égalité des justiciables devant la loi (cf. II.A) et d’autre part, à l’interférence du pouvoir exécutif dans le champ de compétence du pouvoir judiciaire, bien que ce type d’interférence est à soulever en ce qui concerne la sanction des magistrats du siège, sans que cela ne pose les mêmes problèmes au niveau du respect de l’état de droit.

 

L’article 18 incriminé ici, qui s’inspire de l’article 64 alinéa 1er du Code de procédure pénale qui dispose que « le Procureur Général près une Cour d’Appel peut, sur autorisation du Ministre en charge de la justice, requérir par écrit puis oralement, l’arrêt des poursuites pénales à tout stade de la procédure avant l’intervention d’une décision au fond, lorsque ces poursuites sont de nature à compromettre l’intérêt social ou la paix publique ».

 

En tout état de cause, outre le fait que l’intervention du Ministre chargé de la Justice est déjà prévue dans le Code de procédure pénale, une lecture intégrée des articles 18 et 64 sus-mentionnés montre que cette intervention est strictement encadrée afin de ne pas perturber inutilement le cours normal de la justice.

 

A cet égard, trois conditions doivent être réunies pour assurer la validité de l’arrêt des poursuites :

 

1)    l’initiative d’arrêter les poursuites ne doit pas émaner du Ministre de la Justice, mais du Procureur Général près le TCS ;

2)    l’autorisation d’arrêter les poursuites ne peut intervenir qu’avant qu’une décision au fond ne soit prononcée ; et

3)    l’autorisation d’arrêter les poursuites ne peut être accordée que pour des motifs graves et limitativement énoncés, à savoir la préservation de l’intérêt social ou de la paix publique.

 

 

 En guise de conclusion, la loi 2011/028 présente un intérêt certain dans la mesure où elle postule une nouvelle physionomie de la répression des atteintes à la fortune publique.

 

Toutefois, l’on peut se poser la question de savoir si ce mécanisme sera suffisamment efficace pour gérer le volume du contentieux relatif à cette question. En effet, l’on peut se demander si la création d’un TCS était nécessaire. N’aurait-on pas pu renforcer les mécanismes prévus dans le Code de procédure pénale ?

La réponse à cette question n’est pas aisée, seule une analyse du fonctionnement et de la jurisprudence de ce Tribunal pouvant autoriser à supputer sur sa pertinence et son efficacité.

 

Néanmoins, il convient de dire que l’adhésion de l’opinion publique au TCS est en grande partie entre les mains des personnels de cette juridiction, étant entendu que c’est leur capacité à remplir leurs missions qui déterminera le succès ou non de cette juridiction qui change profondément le profil de la justice pénale au Cameroun.